vendredi 5 avril 2013

Mon Off

Depuis que le Cookie m'a contaminée, je n'ai raté qu'une fois, pour cause de dinde fraîchement arrivée, ce rendez-vous, fixé pendant cet étrange entre-deux saisonnier: un hiver qui s'étire, un printemps qui a du mal à s'éveiller. Comme pour mieux souligner l'attachement du cuisinier à son territoire et ses contraintes sublimées.
J'ai causé ici de sa place dans la chaîne alimentaire.
Ce que je retiens aussi de ces trois jours de trajectoires croisées, de la Tasmanie à Noirmoutier, du Montreuillois à New York, c'est une simplicité qui fait du bien.

Face à l'héritage des mères et même des belle-mères, comme Pierre Sang, qui bien avant la rue Oberkampf, a été "déraciné de Corée pour s'enraciner en Auvergne". Hasard de la vie ou pas, les goûts des matins calmes lui sont revenus par sa moitié. Le kimchi à dix heures du mat' c'est un peu violent, mais c'est touchant d'entendre un cuisinier qui plus est passé par la télé réalité rendre hommage à sa belle-mère. Qui est quand même gonflée de pas goûter sa tempura de pâté de tête.

Gratitude envers les aïeux également du côté du Bosphore: Memeth Gurs (Mikla, Istanbul), Suédois par sa môman, a carrément embauché un anthropologue pour plancher sur la cuisine anatolienne. Compliqué, toutes ces "couches de cultures" empilées de manière pas forcément linéaire à Istanbul... Memeth planche jusqu'à deux ans sur la manière de revisiter une cuisson ancestrale de l'agneau dans une amphore. Ne laisse même pas le temps à Sébastien Demorand d'écarquiller les yeux: "C'est pas nous qui avons commencé, y en a qui planchent dessus depuis des siècles"... Bim.



Guillaume Foucault (bientôt Pertica, Vendôme) joue lui les bonnes mamans avec ses conserves de haricots verts au sel et reine des prés, qu'il tient absolument à nous montrer après sa démo de petit salé (poitrine de cochon cuite à la poêle puis macérée dans du nuoc mam -- amoureuse vietnamienne, là... --  et chou confit à l'huile).

Humilité aussi face au produit qu'il revendique "travailler le moins possible", comme ce foie gras cru pas du tout assaisonné. 

Même discours in English dans la bouche de Jose Ramirez qui a ouvert un pop up végé pour rendre hommage aux merveilles potagères de ses potes de Long Island: "pas besoin de triturer le produit". J'aurais jamais pensé me pâmer ainsi devant une assiette d'oignons...



Touchant Mikael Jonsson (Hedone, Londres) et son tartare VIP. L'ex-avocat suédois gratte une côte de Black Angus copieusement maturée à même l'os à la petite cuiller. Plus moëlle, moutarde et tuile au jus de viande. That's all folks. On espère que le reste de barback a été aussi bien utilisé, quand même.


Sylvain Sendra (Itinéraires, Paris), venu aider Asafumi Yamashita à faire parler ses navets, martèle: "surtout ne pas massacrer le produit avec son ego".


Dan Hunter (Royal Mail, Dunkeld), qui pour le coup ne galvaude pas l'expression "de la fourche à la fourchette" dans son bled à 300 bornes de Melbourne, ne fait pas le malin: fonction de la récolte de tous ces ingrédients "qui poussent ensemble et nous poussent à les associer", les plats "s'imposent": premières asperges, pistache, chlorophylle (tour de passe-passe à partir d'épinards).



Les asperges, Alexandre Gauthier n'en avait encore pas dans sa musette cette année, pour cause de petit coup de froid à Montreuil la semaine précédente... Pis toute façon, l'animal omnivore était au sucré, pour changer. Cinq desserts (raviole pain et jaune d'oeuf de caille, pommier, sable, argousier, chocolat pissenlit, qui disent toute la pensée du toujours chouchou (on n'a failli pas entrer), qui remet les pendules à l'heure en redonnant leur sens aux mots: gourmand, ce n'est sûrement pas une certaine texture indispensable dans un dessert. "La gourmandise, c'est qu'on a envie d'y revenir encore et encore". Je retournerais bien à Montreuil un de ces jours moi d'ailleurs.


Au sucré aussi, David Toutain, tout fier de nous rapporter de son tour du monde sabbatique (et qui le porte encore plus haut) des produits du quotidien comme le Vegemite, la pâte à tartiner du petit déjeuner des Australiens, espèce de mélasse à base de levure de bière, magnifiée dans un dessert autour du céleri confit. Ou encore le taro, tubercule ultra-nourrissante rencontrée pour ma part en Polynésie, ici en chips avec patate douce cuite dans le lait concentré, et farine de sarrasin torréfié.


Autre star du moment, Alexandre Couillon, sur lequel on aurait tendance à un peu trop gloser nous rappelle à l'ordre: "On ne veut pas faire une cuisine cérébrale". Et ça ne remet absolument pas en cause l'intelligence d'une huître sous sa marée noire ou d'une balade au Bois de la chaise.


C'est juste que comme le rappelle Nicolai Nørregaard avec le sourire malicieux de ses vingt ans: "Concepts are good, but don't forget the taste". Merci les gars.

2 commentaires:

Bamby a dit…

:o) Sympa, l'événement a l'air plutôt appétissant, et les photos itou... La cuisine est vivante et n'a pas de frontière, ça fait plaisir!

Mumu a dit…

Merci Amélie de nous faire participer à cet évènement d'aussi belle manière...