Je suis soule (pourtant, à part les sympathiques vins du sympathique Domaine La Marche, j’ai surtout bu de la Badoit, comme quoi la sponsorisation a du bon). Mon train est à peine à Pont-l’évêque que je renonce à mon idée de digérer un peu cette ébullition avant de vous l’écrire. J'ai trop peur de ne perdre ne serait-ce qu’une miette de ce que j’ai la chance de vous rapporter, en plus de mon tablier Cocotte (j'étais un peu obligée, non?)
En plus, y a des prises électriques, le Paris-Deauville c'est beaucoup plus classe que le PLM... Bref, au début, je comptais juste vous faire partager une gorgée de cette ébullition créative sur (enfin plutôt sous, en fait) les planches de Deauville. Ce sera finalement une orgie. Genre « à vot’santé, M’ssieurs dames, -- comme dirait Bénabar, grand copain de JF Piège – la jeune cuisine est en pleine forme ! »
Même ceux qui sont plus tout jeunes, même ceux qui fatiguent comme Albert Adria, qui a laissé pour quelques mois encore "la bête" El Bulli à son frangin pour un bar à tapas présenté dans un film (il adore la vidéo, Albert, même qu'il a fait lui-même "El dia en El Bulli"). Là, il présente Inopia, genre on y est comme-dans-le-bar-de-Friends-mais-c'est-à-Barcelone-et-c'est-plus-hype-et-la-plancha-est-gérée-par-Adria (ce qui fait une grosse différence, je vous l'accorde). Et qui m'a fait penser que ce n'était qu'à quelques heures de route de chez moi, et que ma banquière sera d'accord. Et qu'avec un peu de chance, il ne faut pas passer des nuits sur internet pour tenter de réserver comme à Rosas. Comme l'a joliment écrit un collègue, décrocher un ticket pour ces deux dernières années d'El Bulli, c'est un peu comme dans Charlie & la chocolaterie.
Y a aussi des jeunes qui ont l’air de sortir du lit, comme Inaki, dont le prénom est devenu un concept à lui seul. D’accord, il a un patronyme imprononçable, le Basque. Mais surtout il n’y a que lui pour parler avec autant de détachement d’une "recette ratée", ou de cette simple « recette de composition » sur le thème on-met-plein-de-trucs-de-saison-ensemble-mais-on-fait-ça-bien-les-gars. Un rôle de composition pour la troupe de showmen dégingandés, et au final, une assiette justement bluffante de simplicité et d’intelligence.
"Châteaubriand est dans la place". On grille par deux fois les marrons au chalumeau (ustensile tip-top tendance, plein de chefs ont mis le feu sur scène), on fume légèrement les Saint-Jacques au foin, on râpe les topinambours (qu'on ne peut depuis la semaine dernière plus appeler légume oublié tant il a été utilisé), on blanchit les navets de Pardailhan... et au final on a un concentré de forêt dans une assiette, ça sent la nature mais la nature elle ne sait pas toute seule assembler tout ça. Et les gars du Châteaubriand, avec leurs baskets qui vont bien, ils savent faire ça : se servir de la main de l’homme pour prolonger l’œuvre commencée par Dame nature. C’est le rôle de l’homme en cuisine aussi, non ?
Et puis il n’y a que lui pour offrir, l'air de rien, la découverte de cet incroyable film de Nanda Fernandez Brédillard. Ces gars-là ont fait entrer le champignon et les marrons, non au Panthéon mais à Beaubourg, avec notamment cette vidéo utra-arty – qui m’a d’ailleurs tellement éblouie que j’en ai oublié d’en saisir au moins un plan macro sur le grand écran--. « ça sert à rien », qu’il dit, Inaki. Sébastien Demorand, qui était au moins aussi scotché que moi, a failli lui dire « N’importe quoi, mon gars ». Sauf qu’il a raison, Inaki : ça sert à rien, c’est de l’art… comme le voile de lard du blond Suédois Frederik Andersson (je dis ça parce que je connais des (presque) Suédoises brunes…), déposé dans un silence quasi-religieux sur des poireaux et panais qui fricotent avec algues et genièvre.
J’ai pourtant eu un peu peur en arrivant, quand Frédéric Bau, le Monsieur Valrhona de l’étape, nous a servi de la « gourmandise raisonnée ». Il ne me semble pourtant n'avoir jamais perdu la raison en matière pâtissière, à part en mangeant trop de halva. Oui, la crème au beurre, c’est naze, oui "le mieux est l'ennemi du bien", et pas que dans l’assiette. (Paraît que PH le dit, mais le bon sens de ma maman aussi). Oui, "le bio est meilleur pour l'Histoire". Oui, peut-être que « l’analyse calorique de la tarte au citron, c’est une histoire de fou ». Mais moi, perso, je m’en fous. D’acoord, j’ai un métabolisme scandaleux. Mais la meringue version « mousse à raser », sans blanc d’œuf, ben non, désolée, c’est trop raisonnable pour moi. Mais s’il y en a que ça intéresse, j’ai pris des notes, me contacter.
D’ailleurs, à part le guanciale, qui était à peu près le seul mot inconnu à mon vocabulaire culinaire, -- que d’aucuns définissent joliment comme lard de la bajoue --, utilisé par Grégory Marchand pour égayer son déjà réjouissant raviolo all uvo, et par le pizzaiolo le plus hype de NY, j’ai nommé Carlo Mirarchi – mais ça Estérelle vous parlera mieux que moi de son foie de veau pané que j’ai loupé --, pas grand-chose de grassouille sur scène.
On a vu beaucoup de betteraves, et pour moi, foodista-mais-pas-tant-que-ça, à qui ça évoque surtout l’époque où on regardait son âge au fond des verres, oui, c’était une (re)découverte. L’assiette violette du trio suédois de Malmö, un éblouissement.
Ces trois-là t’auraient plu, Garance. Après leurs peaux de porc croustillante, qui ont constitué mon petit-déjeuner en forme de pop-corn le deuxième jour, je suis tombée amoureuse de ces compositions de légumes et de baies de sureau ou d'églantier, ramassés en forêt ou dans leur potager dont on n’a même pas à se demander s’il est bio. D’ailleurs Julie Andrieu – qui comme tout le monde avait un peu des petits yeux – ne leur a même pas posé la question. Pas une fois ces gars n’ont parlé d’être raisonnable.
Et pourtant, des cylindres de betterave aux allures de viande des grisons comme ça, je devrais en faire plus souvent à mon affreux, au régime de manière chronique (en plus, ils laissent une grande partie de l'assiette vierge pour mettre en valeur le plat, comme l'a souligné Julie).
Mais pour ça il faut que je manie un peu mieux la mandoline. Et que je plante de l'oseille rouge dans mon jardin, aussi. Wait a moment, darling.
Chez Grégory Marchand donc, la betterave elle est jaune et le balsamique il est blanc. C’est frais, réjouissant, c’est prodigieux quand on sait que le Frenchie -- c'est Jamie qui lui a donné ce petit nom, qui lui a bizarrement collé à la peau ensuite à New York : facile, mais bien pratique si tu sèches sur le nom de ton resto -- est absolument seul en cuisine. Et surtout c’est généreux puisque ça fait partie d’un repas qui dépasse à peine les 20 euros le midi. C’est d’autant plus chouette que le jeune papa est modeste, et a enregistré lui-même le message du répondeur du restaurant parisien qui régale 24 couverts au quotidien.
Des petits malins qui ont pensé à réserver, of course, pour avoir droit à ces assiettes « freestyle » avec les petits pickles qui vont bien, où l’assaisonnement est prodigieusement maîtrisé, même sur un raviolo all'uovo. Oui, parce que quand le ravioli il est tout seul, c'est plus un ravioli mais un raviolo. Et avec un jaune d'oeuf dedans, ça suffit. Et c'est par pour être raisonnable, c'est parce que c'est que l'entrée et qu'on voudrait surtout pas se priver de la suite.
On passerait bien aussi un coup de fil rue du Faubourg Saint-Honoré, juste pour le dessert, si on ne craint pas de se prendre un « Cass’toi pov’con » dans les dents. Je suis pas sûre de savourer pleinement les pâtisseries de Régis Ferey dans des assiettes kitschissimes à 5 000 euros pièce, qui plus est à côté d’un homme qui a honteusement supprimé le fromage de ses menus et laisse courir la rumeur selon laquelle il ne boirait pas de vin, mais quand même. Ils sont sympas, ces cylindres caféinés ( !) avec une gelée d'orange. Technique, l'incrustation de silicone. (Mais le président est habitué... OK je sors).
On passerait bien aussi un coup de fil rue du Faubourg Saint-Honoré, juste pour le dessert, si on ne craint pas de se prendre un « Cass’toi pov’con » dans les dents. Je suis pas sûre de savourer pleinement les pâtisseries de Régis Ferey dans des assiettes kitschissimes à 5 000 euros pièce, qui plus est à côté d’un homme qui a honteusement supprimé le fromage de ses menus et laisse courir la rumeur selon laquelle il ne boirait pas de vin, mais quand même. Ils sont sympas, ces cylindres caféinés ( !) avec une gelée d'orange. Technique, l'incrustation de silicone. (Mais le président est habitué... OK je sors).
Quant à la petite feuille d’or perchée sur une volute de chocolat, c'est soi-disant pas pour le bling bling, mais pour « le point de lumière qui attire l’œil », qu'il dit... L’ancien du Ritz est tellement sérieux qu’on a envie de le croire. Et puis c’est joli. Et puis un homme qui praline à la gavotte comme le Cookie nous l’a appris, ça se respecte. En plus, il utilise du Demarle comme ma maman... By the way, il a mis de l’agar au menu du Président, qui évidemment veut lui aussi du caféiné mais raisonné (avec de la vraie crème quand même, ouf) … et met pas mal son nez dans les menus (ça étonne quelqu'un?) -- j'arrête, j'vais avoir des problèmes...--
On en a vu un autre faire un dessert tout en longueur et raisonnable, c'est Philippe Moreno, second du Petit Nice à Marseille. Oui parce que Gérald, il veut pas prendre de bedaine. Alors son pâtissier, quinze ans de maison, il "shoote" des sticks de sorbet (mangue, hibiscus, pomme verte, goyave) façon Mister Freeze emprisonnés dans une crème...
"COMMENT, LA CREME?!"
La pauvre Julie: "Ah oui, pardon..."
Non parce que Philippe il nous a fait une crème sans crème mais avec du lait de Kalpi -- visiblement, en gros, le lait ribot japonais -- parce que oui, Messieurs dames, il y a des vaches au Japon, même que c'est Frédéric Bau (voir plus haut) qui l'a dit.
C'est graphique, acide, régressif. Et cette "glace virtuelle" pour reprendre le mot de Julie, elle a beaucoup plu (ou alors parce que c'était un des rares trucs qu'on a pu goûter?)
En revanche, y en a d’autres qui perdent joyeusement la raison, c’est la bande à Quique. L'Espagnol parle de El Poblet comme d'un "écosystème culinaire". Et dans ce monde merveilleux, comme dirait mon cher Yann Barthes, il se passe des choses étranges... On passe le foie de lotte au chalumeau, on poche les huîtres sous vide, on met du jus de betterave dans des ballons de baudruche, on transforme les peaux de topinambours en copeaux de bois qui croustillent...
C'est un peu déroutant, et je crois que c'est le moment où c'était le plus frustrant de ne pas goûter tant ce qu'on a devant les yeux est difficile à imaginer en bouche.
Heureusement, y avait les snacks de Katsumi Ishida (la suite de mon petit déj après les peaux de porc susnommées).
D'autant qu'on m'avait donné des envies de mer:
L'huître "bousculée par la marée" de Jean-François Rouquette, entre carnet de voyage et "mémoire de nos pères"...
...et le bol en peau de poisson de Matteo Baronetto, façon peau de python. Même si le contenu, des tripes de morue, ne me fait pas forcément rêver. Ce que j'aime, c'est cette vision du luxe fait de récup. "C'est pas les produits, c'est bien couisiner", qu'il dit, Matteo.
Une phrase qui ne suffit évidemment pas à résumer ces deux jours, mais qui correspond assez bien à ce que j'en retiens. Avec trois fois rien, un champ des possibles infini. Euphorisant, nan?
Pour digérer, je me suis fait une panna cotta avec truffe et thé fumé. Une association qui me trottait dans la tête depuis ce riz au lait truffé poêlé et coulis de lapsang souchong qui m'avait éblouie lors de ce petit concours dont Tiuscha a parlé là. Une association inédite et pourtant évidente. Pierre-Louis, tu es bon pour le Off...
Panna cotta truffée, gelée au thé fumé
50 cl de lait
40 cl de crème liquide
40g de sucre
3g d'agar
1 petite melano
50cl d'eau
100g de sucre
lapsang souchong
3 feuilles de gélatine
Couper la truffe en deux parts pas égales. Isoler la petite, la mettre avec les oeufs ou bien bien bien la filmer et la remettre au frais. Mettre la grosse à infuser dans la bouteille de lait, au moins une nuit (deux jours c'est mieux). Râper une partie de la petite.
Mélanger le lait, la crème, le sucre, l'agar, faire chauffer, ajouter la truffe râpée, puis verser dans les verres préalablement disposés sur un plateau. Bien filmer, laisser prendre au frais.
Pour la gelée, faire bouillir l'eau et laisser infuser avec pas mal de thé (au moins deux boules). Remettre un peu sur le feu avec le sucre, ajouter la gélatine, laisser prendre dans un saladier... aussi longtemps que les panna cottas pour être synchro.
Au moment de servir, détendre la gelée au fouet, verser dans les verres. S'il vous reste de la truffe, faire des lamelles.
17 commentaires:
Vision très intellectuelle voire spirituelle mais qui complète bien ce que j'ai pu lire chez Stéphanie (cookcooking) ou chez eatdesign (son nom m'échappe, je l'ai découverte il y a peu). Très fan de l'art culinaire brut nordique et un peu sauvage que j'avais entraperçu chez Gwen l'an dernier.
Bien revisité la panna truffe-thé fumé.
Plein de petits jeunes auraient en effet leur place au off.
A quand un off d'été, que je puisse y aller !?
PS l'îlot est très fonctionnel mais un peu froid, mais j'aime le concept, juste que ma cuisine est trop petite !
Tu ne te déplaces jamais l'hiver?!
Super sympa cette visite commentée du OFF et merci pour les clins d'oeil!!...
ah enfin ! Quelle prose, tu as bien été inspirée pour ce CR, et la recette aussi whouaou ...
C'est quand même largement perfectible: je viens de faire un remake avec du caramel au lapsang souchong, mais comme je manque de méthode on dirait un cratère à la manière des rochers à casser d'Alexandre Gauthier!!
je viens de lire mon compte rendu préféré du OFF. bravo car tu nous fais partager exactement des émotions. j'adore le lapsang et sont goût fumé presque animal.
Je suis justement tombée sur ton huile... à faire. Que d'idées, que d'idées!:) Merci...
Je me déplace quand quelqu'un est là pour s'occuper des filles, pendant les vacances scolaires !
Je disais ça surtout par rapport au fait qu'un OFF d'été, avec des produits de saison, ce serait chouette aussi...
Ah mais y avait des gamins elles auraient pu s'amuser, regarde: http://www.omnivore.fr/?p=3643&cpage=1#comment-1068
Bravo pour ce recap très très interressant en effet , Oui garance apprécie ...
je comprends mieux ton clin d'oeil au sujet du OFF (non d'Avignon n, quelle quiche je fais ) et de la "Beetterave" ...
les Chefs Nordiques sont TOP
d'ailleurs mon préféré est Finnois (ou finlandais je ne sais pas comment on dit ça en Français sinon c'est FINSK)
Hans Valimaki c'est mon Dieu !
bref très bel article là ...
Bravo
garance
j'aime la gelée de thé avec une pana ça doit être top Pierre
Ouah une recette toujours aussi originale et magnifique! Franchement bravo!! :D
Je suis complètement fan de la gelée de thé! ;)
Bisous & Bonne soirée
Garance, effectivement, ton pote il a l'air de savoir quoi faire d'une betterave, lui aussi...
Pierre, oui c'est bien et en même temps les textures ne contrastent pas tout à fait assez... d'où mon idée de la sauce au caramel de thé fumé (complètement plantée!)
La cuillère, merci!
bravo mais reste à refaire tout ça à la maison. Vivement qu'il (re)neige, alors...
Tout? Même bol en peau de poisson avec des tripes de morue dedans, sérieux?!
cela donne envie de repasser à table
Pas mal, ça a l'air d'avoir valu le déplacement, mine de rien... Assez d'accord avec toi sur la meringue! Pis le voile de lard et le lard de bajoue m'ont l'air pas mal non plus. En tous cas, les photos me donnent faim, en ce long soir d'élections... Ca donne quoi le foi de lotte? Pis je tenterai bien la pana cotta truffée, ça fera plaisir à Linda, la truffe, c'est sa grande passion... Quant à la prose, elle est chouette aussi, à la hauteur de ses artistes pour papilles...
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